« Le lancement de la 3G en Algérie n’a pas été géré dans la transparence nécessaire »

0
14197
L’Algérie demeure à la traine des autres pays émergents dans le développement des technologies de l’information et de la communication (NTIC), en dépit de tous les efforts qui ont été déployés ces dernières années. Le lancement de la technologie de 3ème génération (3G) par exemple, a été longuement annoncé par les différents ministres qui se sont succédés à la tête du ministère de la poste et des TIC. Dix ans plus tard, les algériens continuent de rêver d’un haut débit sur leurs Smartphones… Qualité de service, coûts de la 3G, raisons du lancement de cette technologie et bien d’autres aspects ont été abordés par M Younes Grar, Consultant en TIC dans cette interview exclusive à mobilealgerie.com.

– Mobilealgerie.com : Tout d’abord le lancement de la 3G en Algérie a accusé un grand retard. S’agit-il essentiellement d’un problème technique ?

Younes Grar: Sincèrement je ne pense pas que ce soit un problème technique qui a fait connaitre au lancement de la 3G tout ce long feuilleton d’annonces et de fausses annonces. Cette technologie existe depuis une dizaine d’années, les équipementiers proposent plusieurs solutions ; les fournisseurs de logiciels de gestion aussi, et bien sûr les producteurs de contenus ont diversifié leurs produits. Tout cela a fait que les opérateurs à travers le monde se sont sentis très à l’aise pour réussir le lancement de leurs offres 3G. La preuve est que presque tous les pays ont réussi l’introduction de cette technologie sans faire trop de bruits. Je ne parle pas des pays développés, mais je fais allusion au Maroc, la Tunisie, l’Arabie Saoudite, l’Afghanistan, le Rwanda, la Somalie, etc. On n’a jamais parlé dans tous ces pays de problèmes techniques.

L’introduction de la 3G est une pure affaire commerciale que nos décideurs ont trop politisé. La preuve est que depuis l’annonce de son lancement après un test réussi en 2004, plusieurs annonces ont été faites puis annulées pour diverses raisons (privatisation d’Algérie Telecom, Mobilis non prêt financièrement, suite à la demande des opérateurs, problème d’acquisition de Djezzy, soucis liés à la sécurité du pays, etc). En fin de compte, le processus a été lancé officiellement en espérant qu’il arrive au bout pour enfin faire profiter les algériens de cette technologie. Il faut dire que le problème de lancement de la 3G n’a pas été géré dans la transparence nécessaire surtout avec les divergences de vue entre les différents intervenants surtout le MPTIC et l’ARPT dont les échos ont été étalés à travers les médias.

– Tant attendu par les Algériens, la 3G va-t-elle satisfaire les internautes qui ne cessent de se plaindre d’un mauvais débit qu’il soit ADSL ou mobile (clés Internet lancés par les opérateurs) ?

– La 3G est un support sans fil pour véhiculer et transporter des données, c’est l’équivalent du support filaire qu’est l’ADSL. Les algériens se plaignent de la qualité de services de l’ADSL, du point de vue disponibilité, débit, coupures, dérangements, etc. Ils risquent de se retrouver en face des mêmes désagréments avec les offres 3G si les responsables du secteur ne prennent pas les mesures adéquates pour éviter de faire revivre aux citoyens les mêmes désillusions de l’ADSL. Si du côté disponibilité, on peut faire confiance aux opérateurs mobiles face à la concurrence faire de leur mieux pour que ce service atteigne le maximum de clients grâce à leurs forces de vente ; mais côté qualité il y a un effort à faire et on a eu une idée de la qualité de services des clés 2G et 2G+ qui ont été mises sur le marché où les clients ont payé et n’ont pu se connecter à Internet où le font avec une vitesse très lente loin des 200 kbps promis.

L’ARPT avec la collaboration des associations de consommateurs , doit sévir pour amener les opérateurs à améliorer la qualité de leurs offres. Il faut signaler que sur toute la chaîne  il y a un tronçon où les opérateurs peuvent jeter la balle à l’opérateur historique Algérie Telecom qui gère seule la fourniture des liens en national et en international. La politique de gestion de ces liens (backbone national et bande passante internationale) techniquement et financièrement peut causer beaucoup de désillusions et de désagréments aux algériens semblables à ceux de l’ADSL. A travers le monde , l’ADSL est offert aux clients avec des débits atteignant les 20 Mbps, sauf en Algérie où le débit est plafonné à 1 Mbps seulement avec une qualité qui laisse à désirer et des tarifs assez élevés. Juste pour avoir une idée, beaucoup de pays à travers le monde, y compris nos voisins, offrent l’ADSL 20 Mbps à des prix équivalents de 2.000 à 3.000 DA le mois, alors que dans notre pays pour presque le même prix on ne nous offre que des connexions de 1 Mbps qu’on n’arrive même pas à obtenir dans la plupart des cas à cause de la mauvaise qualité de service.

Donc les responsables du secteur doivent se pencher sérieusement sur ce problème de liens et de bande passante internationale et aussi trouver des solutions pour pouvoir héberger les contenus algériens en local en mettant en place des sites d’hébergement de norme internationale en Algérie. Donc la partie n’est pas encore gagnée, du chemin reste à faire.

– Aujourd’hui les opérateurs ont retiré le cahier des charges relatif à cette technologie avez-vous une idée sur son contenu?

– Etant donné que cette technologie 3G est disponible à travers plusieurs pays et depuis des années, le processus est connu et notre pays n’est pas en phase de redécouvrir le couteau qui coupe le beurre. Plusieurs cahiers de charge sont disponibles sur la toile, celui de notre pays  vient d’être retiré par les trois opérateurs et on y retrouve les spécifications techniques et conditions que doivent respecter les postulants. D’après les infos, il y a le prix de la licence qui a été fixé à 30 millions d’euros, la nécessité de se déployer sur les 4 grandes wilayas (Alger, Constantine, Oran et Ouargla), nécessité d’assurer une certaine qualité de service (débit minimum par exemple), un réseau commercial et un support technique efficace, etc. Mais on aura plus de détails le 15 septembre, dès que les opérateurs déposeront leurs offres pour voir de quelles manières ils vont aborder ces différents problèmes et répondre aux exigences du cahier des charges.

– On évoque que le coût de la 3G sera hors de portée de la couche moyenne, que pensez-vous? Avez-vous une idée de son coût même approximatif ?

– Les opérateurs pour fixer les tarifs de leurs offres doivent maîtriser les coûts de ses services. Les coûts sont liés, entre autres, à l’amortissement des investissements sur les équipements, la licence, les moyens humains, le marketing, le commercial, la maintenance, et surtout les coûts des liens de transport national et la bande passante internationale. Si les opérateurs maîtrisent les premiers coûts, celui des liens en national et en international dépend de la politique tarifaire d’Algérie Telecom vu qu’elle a le monopole sur cette activité. Et là on risque de retomber sur des prix assez élevés par rapport aux citoyens moyens. Si la 2G est offerte à 2000 DA et avec une qualité médiocre, on risque de se retrouver avec des offres 3G forfaitaires (ou même limités en volume de téléchargement) avec des prix oscillant entre 2.500 DA et 5.000 DA et un débit de 512 kbps ou 1 Mbps qu’on aura au début mais avec la montée en charge des clients on va se plaindre des débits très bas et des coupures dû à la saturation du réseau.

Les responsables du secteur ont un droit de regard sur ces aspects, à travers les organes existants pour assurer la réussite de l’introduction de cette technologie en protégeant le consommateur afin d’éviter qu’il soit victime de la férocité commerciale des opérateurs. Il faut veiller à bien gérer cette phase afin que chacun trouve son compte : les clients, les opérateurs mobiles, Algérie Telecom, les équipementiers, les fournisseurs de contenu, les prestataires de service, les points de vente, etc. Du chemin et du travail reste à faire, pour espérer que l’introduction de la 3G, et puis rapidement la 4G, puisse aider notre pays à rattraper le retard accusé dans les TIC et réussir sa révolution numérique qui ne peut être que mobile.

Brève BIOGRAPHIE :

Grar Younès est un ingénieur d’état de l’INELEC de Boumerdès (promo 1985), cinq ans plus tard, soit en 1990, il obtient son Magister en Cybernétique du Centre de Développement des Technologies Avancées puis il occupe le poste de chef de Laboratoire Architecture des systèmes. Dés Septembre 1997 Il dirige l’ISP privé GECOS et contribue notamment à la création de plusieurs associations professionnelles (AAFSI, AITA, AFICTA, IJMA3, ARISPA). Il a été aussi vice-président du Collège international de l’AFNIC. En juillet 2008, il est nommé au poste de conseiller du Ministre de la Poste et des TIC, chargé de l’élaboration du programme « e-Algérie 2013». En Octobre 2010, il rejoint l’entreprise Animapp Algérie spécialisée dans le développement des applications mobiles, où il occupe le poste de Directeur Général. Depuis Octobre 2011, il occupe le poste de consultant IT pou un certain nombre d’entreprises.